EZLN : 20 ans de lutte pour le Chiapas

Par Edouard Seghur

 

C’est au cri de « Ya Basta ! » (« ça suffit ! »), poussé depuis la jungle du Chiapas, au sud du Mexique, que l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN, en espagnol : Ejército Zapatista de Liberación Nacional) s’est insurgée aux premiers jours de 1994.

Et depuis plus de 20 ans, le mouvement réclame plus d’autonomie et de droits pour les Indiens, devenant un symbole de la lutte altermondialiste.

L’EZLN a surpris le Mexique et le monde entier en menant une guérilla éclair en 1994 au Chiapas, Etat situé au sud-est du Mexique, près de la frontière avec le Guatemala. Un territoire où les inégalités sont criantes : les habitants sont parmi les plus pauvres du pays, particulièrement les petits paysans et les Indigènes…. bien que l’Etat soit riche en ressources (café, pétrole, etc.).

 

Les héritiers de Zapata

L’EZLN fait directement référence au révolutionnaire Emiliano Zapata, petit propriétaire métis, héros de la révolution mexicaine entre 1910 et 1920, sorte de Zorro qui défendit les paysans comme lui contre les grandes industries sucrières qui s’emparaient de leurs terres.
L’EZLN poursuit en quelque sorte le combat commencé par Zapata, en présentant les mêmes revendications qu’au début du siècle : une réforme agraire de grande ampleur, avec la redistribution des terres et plus de droits pour les Indiens.

 

Les revendications des insurgés

Les membres de l’EZLN apparaissent pour la première fois le 31 décembre 1993, en diffusant la Première déclaration de la jungle Lacandone depuis la forêt tropicale du Chiapas, avec un slogan retentissant : Ya Basta !
En fait, une déclaration de guerre au Parti révolutionnaire institutionnel qui dirige le pays depuis 1929 et à « l’armée fédérale mexicaine, principal pilier de la dictature ».
L’EZLN invite ainsi le peuple du Mexique à se soulever pour défendre ses droits : « le travail, la terre, le logement, l’alimentation, la santé, l’instruction, l’indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la paix ».

 

Le soulèvement du 1er janvier 1994

Le lendemain, 1er janvier 1994, l’EZLN déclenche l’insurrection : une date qui ne doit rien au hasard, puisque c’est ce jour-là que doit entrer en vigueur l’Accord de libre-échange Nord- Américain (Alena).
Les combattants zapatistes, dissimulés sous leurs passe-montagnes, prennent le contrôle de cinq agglomérations du Chiapas, dont San Cristobal de las Casas, deuxième ville de l’État, qui compte 180 000 habitants.
Le gouvernement envoie l’armée pour réprimer cette insurrection, et les combats se poursuivent pendant 12 jours, coûtant la vie à plusieurs centaines de personnes. Sous la pression de l’opinion publique et de la communauté internationale, le président mexicain, Carlos Salinas de Gortari, annonce un cessez-le-feu unilatéral le 12 janvier 1994, qui ne fait pas… long feu.
Les Zapatistes déclenchent une nouvelle offensive en décembre 1994, prenant le contrôle cette fois de 38 communes du sud du Mexique, dont Palenque, une cité maya.

 

Un conflit impossible à résoudre ?

La Commission nationale de médiation, présidée par l’évêque de San Cristobal, Mgr Samuel Ruiz, tente de résoudre le conflit au Chiapas. Sans succès.
Le gouvernement mexicain met fin aux négociations et veut reprendre par la force les villes du Chiapas. Sans succès non plus.

En 1995, l’EZLN appelle à la formation d’un Mouvement pour la libération nationale, incluant « TOUTES les forces qui, sans distinction de croyances religieuses, de race ou d’idéologie politique, sont contre le système du parti-État ». Une porte de sortie est entrouverte avec les accords de San Andrés, signés le 16 février 1996, prévoyant d’accorder une large autonomie aux indigènes et de leur reconnaître des droits spécifiques.
Mais l’EZLN estime que les promesses ne sont pas respectées et forme des municipalités autonomes où elle met en œuvre les accords de façon unilatérale.
Rebelote en 2000 : Vicente Fox Quesada, le nouveau président élu du Mexique, qui met fin à 71 ans de règne du Parti révolutionnaire institutionnel, promet de régler le conflit… en un quart d’heure.
Les zapatistes le prennent au mot, organisent une caravane qui traverse douze états, et marchent sur Mexico www.liberation.fr/monde/2001/02/24/marcos-le-zapatiste-marche-sur-mexico_355757 pour défendre leur idée d’une nation plus égalitaire devant le Congrès mexicain.
Mais la loi sur les droits des indigènes qui en résulte est vidée de sa substance. Et le conflit dure toujours.

 

Quelle idéologie ?

L’EZNL se distingue des nombreux mouvements révolutionnaires qui ont secoué l’Amérique centrale. Si ce groupe a pris les armes (il ne les a d’ailleurs pas reprises depuis 1994), ce n’est pas pour prendre le pouvoir, dit-il, mais pour changer les rapports de force au sein de la société mexicaine.
Il ne veut pas l’indépendance du Chiapas, mais davantage d’autonomie et de droits pour les Indiens.
Le mouvement zapatiste expérimente depuis plusieurs années des « caracoles », des municipalités autogérées, avec leurs propres systèmes de santé, d’éducation, et de vie collective. Avec un principe fondateur : « tout pour tous et rien pour nous ».
Mais l’arme principale de l’EZNL est peut-être bien la communication ! De fait, le mouvement déclenche dès le départ une offensive médiatique, faisant parvenir ses déclarations et analyses aux médias locaux, nationaux et internationaux. Il utilise intensivement les nouvelles technologies (téléphones, Internet) pour communiquer avec ses sympathisants et organise des coups de force médiatiques, trouvant de nombreux soutiens dans la population mexicaine et de nombreux échos partout dans le monde. Des personnalités influentes soutiennent le mouvement, comme le sociologue français Alain Touraine, le linguiste américain Noam Chomsky, le chanteur Manu Chao, Danielle Mitterrand ou encore le cinéaste Oliver Stone.

 

L’aura du sous-commandant Marcos

Si le mouvement est très médiatisé, c’est aussi grâce à l’aura du sous-commandant Marcos, devenu pour certains une légende, en tout cas un symbole mondial de la lutte contre le libéralisme et la mondialisation.
L’homme à la pipe et au passe-montagne, porte-parole de l’EZLN, écrit et parle bien, manipule l’humour et l’ironie avec talent : « nous ne cherchons pas à obtenir le prix Nobel de la paix ou à faire grimper les ventes de passe-montagnes, nous voulons que soient reconnus les droits des Indiens », déclare-t-il lors de la Marche sur Mexico en 2001.
Le sous-commandant Marcos garde son identité secrète mais les autorités mexicaines pensent l’avoir confondu : il s’agirait de Rafael Sebastian Guillen Vicente, un ancien professeur de l’Université autonome métropolitaine de Mexico.
Le 25 mai 2014, le guérillero donne la mort à son personnage, abandonnant la direction de l’ELZN en raison de « changements internes », et se rebaptise « Galeano » en hommage à un insurgé mort lors d’un affrontement.

http://rue89.nouvelobs.com/2014/05/21/chiapas-a-assassine-galeano-ange-gardien-zapatiste-maestro-es-democratie-252341

 

Pour aller plus loin

Marcos, le Maître des Miroirs, Manuel Vázquez Montalbán, Mille et une nuits.

Marcos, la dignité rebelle, Conversations avec le sous-commandant Marcos, d’Ignacio Ramonet.

Le rêve zapatiste, Yvon Le Bot, entretien avec le sous-commandant Marcos, éd. du Seuil, Paris, 1997.