Par Hugues Derouard

 

Le Mexique a une place à part dans l’industrie du cinéma : il a fait partie des tout premiers pays à utiliser le cinématographe peu après son invention en 1895. Son cinéma connu, parallèlement à celui d’Hollywood, un véritable âge d’or à partir des années 1930 grâce notamment au soutien du gouvernement.

 

Quelques mois après leur première projection publique à Paris, en 1895, les frères Lumière sont invités par le gouvernement de Porfirio Diaz pour projeter à Mexico des séances de leurs films. Le dictateur a vite compris que le cinématographe pouvait être un outil précieux pour valoriser son image et celle de son pays.


Le Mexique, qui comporte plusieurs salles de cinéma dès 1906, se place à l’avant-garde des techniques cinématographiques. Un studio est créé très tôt à Mexico pour produire des documentaires et des films comiques. Les luttes révolutionnaires inspirent également beaucoup de films et mènent à la création de sociétés de production tournées vers un cinéma social. Parallèlement, les premiers acteurs du cinéma muet comme Mimi Derba, qui jouent dans des mélodrames à succès, deviennent vite très populaires.

Les années 1930 : films parlants et comédies populaires

Pourtant, au début des années 1930, les cinémas mexicains sont essentiellement « abreuvés » de productions hollywoodiennes et de versions espagnoles de ces grands succès (tournées en partie… en France, dans des studios à Joinville-le-Pont !). C’est le cinéma dit « hispano ».

Avec l’avènement du parlant et du « Chanteur de Jazz », quelques réalisateurs mexicains tournent des films d’actualité avec le système Vitaphone des studios américains Warner. Les frères Joselito et Roberto Rodriguez développent bientôt une réplique nationale pour le cinéma parlant : « Le Rodriguez Sound Recording System ». C’est grâce à ce procédé que « Santa », un des premiers films parlants mexicains, sort en 1932 et rencontre un vif succès. A l’affiche, l’actrice Lupita Tovar, dont la carrière compte aussi quelques films hollywoodiens.

En 1933, le cinéma mexicain, avec vingt et un films, domine ainsi le marché de langue espagnole. Les années 1930 débutent sur fond de guerres civiles, capturées notamment par le cinéaste soviétique Serguei Eisenstein dans « Que Viva Mexico ! ». Toute une génération de cinéastes s’inspire de l’esthétisme nouveau du réalisateur, et sa mise en valeur du folklore local comme sa portée sociale vont amener une industrie vraiment nationale du cinéma.

Avec l’élection du nationaliste Lázáro Cárdenas en 1934, le gouvernement, via son secrétariat à l’Education publique, produit « Les Révoltés d’Alvarado », signé d’un certain… Fred Zinneman, futur réalisateur du « Train sifflera trois fois » ! C’est le début d’une longue série de films bénéficiant du soutien financier du gouvernement, dans le cadre de sa politique de promotion des beaux-arts mexicains. Objectif : combattre l’hégémonie de la production hollywoodienne. Les cinémas avaient ainsi l’obligation de programmer au moins un film mexicain par mois !


L’âge d’or, c’est surtout cette recrudescence de la production : quelque 162 films en l’espace de trois ans ! Dont des comédies populaires, comme le succès surprise de « Alla en el Rancho Grande » (1936), œuvre d’un réalisateur incontournable pour l’époque, Fernando de Fuentes. Le cadre est paysan et bucolique (« ranchero » pour être exact), l’humour volontiers machiste, les chansons nombreuses et il introduit la figure du « peladito » (un marginal) avec Mario Moreno, plus connu sous son nom de scène, « Cantinflas« . Celui-ci deviendra une icône populaire dès 1940, avec « Ahi Esta El Detalle », qui lance l’export des films mexicains à travers le monde.


Dans l’ombre de « Que Viva Mexico ! » se développe le style d’un cinéaste-phare : Emilio Fernández, dit « el Indio » en raison de ses origines autochtones. Sa filmographie a une très forte identité mexicaine, comme en témoigne « Je suis purement Mexicain » (1942), et traite de thèmes mélodramatiques lourds : couples déchirés, mères et prostituées sacrifiées, le tout avec une photographie singulière, signée Gabriel Figueroa, et axée sur les paysages de désolation du pays. Il puise également son inspiration dans l’art précolombien.

 

Les années 1940 : star-system

La Seconde Guerre mondiale profite au cinéma mexicain qui approvisionne l’important marché hispanophone délaissé par les puissances combattantes. En 1945, le Mexique produit plus de quatre-vingts films. Cela favorise la naissance du star-system autour de vedettes comme Dolores Del Rio, dont les traits pouvaient lui permettre d’interpréter différentes nationalités (Polynésienne, Brésilienne….), ou encore Pedro Armendáriz, qui collaborera à plusieurs reprises à Hollywood, avec l’américain John Ford, notamment pour « Le Massacre de Fort-Apache ». Les comédies musicales apportent aussi la célébrité nationale à Jorge Negrete, dont la voix de stentor rythme les « rancheras » jusqu’à sa mort en 1951. Il formait l’un des couples-star du Mexique, avec sa femme Maria Felix, personnification de « la doña », mystérieuse et inatteignable, à l’instar d’une Lana Turner.
Au milieu des années 1940, les studios Churubusco voient le jour sous l’impulsion du président Camacho et avec des fonds de la société américaine RKO.

Les années 1950 : industrialisation et Luis Buñuel

Le tournant des années 1950 voit le rythme de production s’accélérer et les productions peu onéreuses se multiplier, notamment pour garder le leadership sur le marché latino-américain. C’est l’apparition de films de luchadores (catcheurs mexicains), et de films de « rumberas y arrabal » : des mélodrames où une jeune femme venue de la campagne débarque en ville, est victime des vices de la société urbaine et se retrouve contrainte à devenir danseuse de cabaret, sans autre échappatoire. L’Espagnol Luis Buñuel commence également à tourner au Mexique dès le milieu des années 1940. Il est un des rares cinéastes à jouer avec le formalisme du mélodrame pour « Gran Casino » (1946) ou introduire du surréalisme dans un drame noir (« Los olvidados »).


Avec une production toujours aussi soutenue –une centaine de films par an– les films notables ont toutefois du mal à se faire une place. On retient ceux de Luis Alcoriza, immigré espagnol et collaborateur de Buñuel pour notamment « La mort en ce jardin » (1956). Différents historiens du cinéma mexicain situent la fin de l’âge d’or avant 1960. C’est symboliquement la mort d’une des dernières vedettes, Pedro Infante, en 1957, qui marque la fin d’une époque. Infante était un comédien, et surtout un chanteur de standards mariachi extrêmement populaire. Il a récolté un Ours d’Argent du meilleur acteur à Berlin pour son film « Tizoc ». Son décès dans un accident d’avion provoquera un deuil national et le début d’une crise persistante, miroir de celle que connaît Hollywood au même moment.


Il y a la concurrence nouvelle de l’arrivée de la télévision dans certains foyers aisés. Mais les États-Unis sont aussi en partie responsables de l’affaiblissement de la production mexicaine, leur hégémonie dans les cinémas locaux étant évidente avec 80% des salles sous leur contrôle. Mais ce tournant des années 1960, même s’il annonce une récession esthétique, voit aussi l’apparition des films de genre, films d’horreur et films fantastiques. Et le courant expérimental, bien que confidentiel, commence à pointer le nez… Un autre âge commence pour le cinéma mexicain.